Portrait du mois : Philippe Nibart

Philippe Nibart

Elagueur (et clown à ses heures perdues)

Portrait de Philippe Nibart

Antépalmus

Ce qu’il faut savoir, c’est que ma vocation d’arboriste est indissociable de celle du clown et vice et versa.

J’ai commencé tard. J’ai commencé fou.

Ma compagne qui avait suivi l’école du cirque plume venait de rejoindre les collègues de sa promotion afin de profiter d’une année de résidence artistique à la Grainerie de Balma, à coté de Toulouse.

C’est là que je croisais Vincent Bienvenu pour la première fois.

Totalement novice dans le domaine : ni acrobate, ni jongleur, ni aérien ; je participais néanmoins avec mes mots à l’effervescence du Free Cirk, mélange détonnant de traditionnel et de pure improvisation.

Puis Lan N’Guyen, leur ancien pédagogue, m’ouvrit la voie royale du clown.

Mais en ce monde technico-commercial, cela suffirait il à nourrir son Nibart ?

Fort de ma responsabilité de jeune papa, j’acceptais de suivre un bilan de compétence à l’issue duquel on me proposa : animateur socio culturel ou élagueur.

Au diable le sociocul ! Va pour secouer les arbres !

En vrai, je ne savais rien de ce que cela impliquait.

Je fis un stage d’immersion chez un grimpeur élagueur, chance, je tombais sur Olivier Amouroux, bougon tendre autant qu’humble passionné. Il m’encourageât et me conseilla de passer mon certificat à Nérac.

Rencontrer Christian Pagnez, cheveux en pétard et voix goudronneuse, le matin juste avant les sélections pour la formation adulte « taille et soins aux arbres », me mit aussitôt à l’aise.

Premières palmes

Ayant obtenu auparavant à Paris un CAP jardin espace verts, je correspondais aux critères administratifs imposés, mais l’argument qui réellement emporta l’approbation du jury fut ma compétence clownesque.

A bon entendeur salut ! N’est pas Pagnez qui veut.

Ces sept mois furent parmi les plus merveilleuses périodes de ma vie.

La vision des plantes transmise par Christian s’incrusta physiquement dans mon âme. Et que dire de William Moore, quand il nous fit voyager au cœur de l’arbre avec sa haute voltige binoculaire. Je nous revois encore explorant l’assise génératrice phellodermique ou les larges vaisseaux printaniers et tendre nos orbites tel le loup de Tex Avery devant l’apparition de la pulpeuse effeuilleuse.

Pierre Aversenck et son aisance à nous compter les ravages des agents pathogènes ou l’amabilité des saprophytes.

Ainsi que Paul O’Regan qui lorsqu’il se déployait dans la frondaison me donnait toujours l’impression d’être hissé par les branches.

O Nérac

Quelle muse des bosquets

Butine donc Henry IV

Tandis qu’en bout de branche

Un lutin breton franchit la Baïse

Je repense souvent à tous mes condisciples perché-es avec une infinie tendresse et un taquin respect. Je puis écrire que par le biais de ces géants végétaux nous nous inspirâmes humains.

Souvenir des éclats de rire, des gueules de bois racinaires, des entraides ramifiées, du latin repris en chœur : Albizia julibris’nib et glypto… stro… trobo… j’y laisse

Tiens, ce nom me fait penser à Etienne Barteau, chez qui je fis mon second stage en entreprise et qui m’accueilli chaleureusement alors que j’étais en pleine déconfiture sentimentale. Premier grimpé dans un séquoia. Afin de couper la cime sèche (tes larmes). Puis retour dans la nuit avec Jean-Louis et la musique du groupe Calypso, nettoyant l’ouïe de la dent des tronçonneuses.

A Nérac, le fournisseur de matériel pour l’école faisait aussi de l’accastillage. J’étais à la recherche de chaussures clownesques spécifiques à l’univers arboricole, le patron me proposa une paire de palmes gratuites si je réussissais à monter avec. Le Foot Lock palmé venait de naitre.

Vint avril 2002 et l’obtention du certificat, sans honneur mais avec grâce.

Dès le début de la formation, Christian nous avait parlé de la SFA, seule association réunissant les différents acteurs de la filière, et de l’importance d’y adhérer.

Les rencontres nationales d’arboriculture 2002, grande messe de notre fraiche et nouvelle vie, se profilaient à l’horizon. Elles auraient lieu en Juin, à Paris en l’enceinte du parc du Luxembourg.

Désirant y participer en tant que vis comica, je m’enquis auprès de Christian de la meilleur façon d’aborder ces dieux olympiens. Il me donna le numéro du responsable technique des épreuves.

Bain de palmes

Prenant mon courage à deux mains et juché sur les remparts du palais des rois de Majorque, à Perpignan je composais fébrilement son numéro.

« Bonjour M. Annebi, je viens de finir ma formation d’arboriste grimpeur et j’aimerai euh… Proposer euh… voilà, je suis un peu clown et… »

« Wouahhhh, c’est génial ! Viens ! »

J’en restais bouche bée. Que quelqu’un de cette importance puisse faire confiance, aussi soudainement à un pitre…

A bon entendeur salut ! N’est pas Salim qui le dit.

Le jour J, je n’en menais pas large. L’équipe technique, réunie autour d’une immense table ovale m’observait avec des sourcils froncés (je sus plus tard que c’était leur façon de paraitre gentils). Salim m’accueillit bras ouverts, et me montra la piste de danse, en l’occurrence les platanes autour de la fontaine Marie de Médicis, que Pompon et sa bande étaient en train de préparer. Il s’agissait d’un parcours ludique et spectaculaire. Mais attention, le parc appartenant au sénat défense absolue de caresser les statues en marbre, d’effleurer le moindre vase bordant la fontaine, d’en troubler la vase intact depuis le XVIII ème siècle, etc…

Ne serais ce point que cet ingénieux Salim avait introduit l’éléphant dans le jardin de porcelaine ? En effet, profitant des installations mises à ma disposition, et nullement impressionné par Polyphème s’apprêtant à écraser son rival amoureux sous un rocher de marbre, je m’élançais, cape rouge, palmes vertes, nez de clown et verte langue.

Ais je pataugé comme un canard dans ces eaux noires ? Que nenni, j’ai glissé, surfé au fil de l’histoire. D’ailleurs lors d’une de mes déambulations palmées, les gardes républicains se mirent au garde à vous à mon passage.

A bon entendeur salut ! N’est pas républicain qui pût.

Pour finir, Tour du parc dans la benne du tracteur, conduit par Pascal Atger, sourire aux anges.

Palmes d’abordage

Fort de ce bain de Jouvence je fus contacté par Vincent Bienvenu. Il avait l’idée saugrenue de suspendre un bateau dans les arbres. L’aventure du rafiot des cimes débutât à Cugnaux, puis Aurillac avec moult filets pouilleux glanés le long des ports.

En 2003, Bordeaux nous offrit un budget conséquent pour les rencontres nationales. Construction du pont de dix mètres en bambou et filet de pêches. Le tout arrimé à de splendides Micocouliers.

Avec l’association de sol en cimes, nous avons fait naviguer tout le week-end des centaines de moussaillons.

Le rafiot évoluera, s’échouera, perdra son capitaine, tentera de renaitre de ses cendres, s’échouera à nouveau…

A la même époque j’essaie de travailler en tant qu’arboriste grimpeur dans une boite de tawaneur qui hurlaient dès que je m’éjectais de leur nacelle :

Coupes y là, coupes y là ! Pas rentable ce type-là.

Je tins un moi. Bonheur de se retrouver à la cime des platanes du palais des congrès de Perpignan, avec Jean-Pierre Riu, Fabrice Lepers et Salim.

Alors je me suis installé en coopérative d’activité, ce qui me permit d’être indépendant et du même coup saltimbanque arboriste au gré des courants.

Coup de tonnerre !

Marine Hochstetter me demanda si j’accepterais d’assumer la présidence de la SFA. Inconscient j’acceptais.

Palmes présidentielles

Ah ! Quel sac de nœuds ! Cette digne association avec tous ces cadavres dans le placard. Le simple fait de la titiller nous vaudra des foudres apocalyptiques. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point les nombreux initiateurs de son arborescence entretenaient avec elle un véritable attachement viscéral.

La SFA avait eu son roi soleil, elle aurait maintenant son bouffon crépusculaire.

A bon entendeur, salut ! N’est pas souverain qui croit.

Nous dûmes affronter de plein fouet la crise. Les adhésions ne suffisant plus à payer les charges sociales des salariés, le trésor de guerre évanoui car jamais renouvelé, il fallut élaguer.

Cette rude tâche incombât à François Sechet, qui et je mâche mes mots fournit un prodigieux travail d’assainissement, permettant à l’association de ne pas finir dans le caniveau.

De son côté Emmanuel Oï tentait de fédérer les arboristes grimpeurs autour d’un syndicat professionnel afin de contre carrer la volonté de toute puissance de l’UNEP. A leur habitude la plupart des arboristes firent grimper leur taux de testostérone et se dégonflèrent.

Qu’importe, je retire de cette expérience la joie d’avoir côtoyé d’ extraordinaires personnes qui toujours m’accompagnèrent de leur indéfectible soutien, jusqu’à en devenir pour certains mes amis-es : Arnaud Mathias, Fabrice Parodi, Yvan Gindre, Loez Brisset, Loïc Lattronc, Michel Palapoul, Alan Gilbert, Renée Caby, Nathalie Ranjon, Pascal Ernou, Florence Dhuy, Mus et Rached Bounzel, les arbronomades, Yan Jega, Laurent Pierron, Yannick Scali, Sébastien Béni, Fabian DeWitt et tous ceux susnommé-es.

Avé !

« J’ai appris à marcher : depuis ce temps je me laisse courir. J’ai appris à voler : depuis je n’attends plus qu’on me pousse pour changer de place.

Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je m’aperçois en dessous de moi-même, maintenant un dieu danse en moi. »

Nietzsche

Je suis arboriste-grimpeur et clown arboré.

Philippe Nibart, 06 Octobre 2015