Portrait du mois : Pauline KAYSER

Pauline Kayser

Elagueuse/AbConservation

Portrait de Pauline Kayser

Il y a 20 ans, si vous m’aviez demandé ce que je voulais faire dans la vie, je vous aurais répondu :  « Quand je serai, grande je sauverai les animaux !!! ».
Il y a 10 ans, la petite fille qui devait sauver les animaux s’est retrouvée derrière un bureau à recevoir des clients dans un grand établissement financier. Quelle aventure !!
Il y a 6 ans, cette conseillère financière s’est posée la question suivante : est-ce que tu te vois encore exercer ce métier durant les 10 prochaines années ? 1 mois après, je déposais ma démission pour recommencer des études en lien avec le monde animalier. Après plusieurs stages en fermes pédagogiques et au sein de la Ménagerie, le zoo du Jardin des Plantes de Paris, j’ai finalement été embauchée en tant que soigneur animalier dans ce même zoo.
Mais c’est il y a 5 ans que mon aventure a réellement commencée. En travaillant au sein de la Ménagerie, je n’ai pas réalisé qu’un rêve de gosse, j’ai aussi rencontré une espèce animale qui prendra une énorme place dans ma vie. Cet animal s’appelle le binturong. Vous ne connaissez pas ? Et pour cause, ce petit mammifère de la famille des viverridés est une espèce animale peu connue et surtout en danger dans son milieu naturel : l’Asie du Sud-Est. C’est bien dommage car le binturong est un disséminateur de graines qui plante des arbres au fur à mesures de ses déplacements. Si nous devions lui donner un métier, il serait le jardinier des forêts d’Asie du Sud-Est. Le binturong est si peu connu qu’il existe très peu d’études de terrain sur son écologie et sa biologie. On peut rajouter à ça qu’il est très difficile à observer dans la nature car il est nocturne et arboricole. En effet, notre petit ami dort exclusivement entre 15 et 40 mètres de hauteur, bien protégé dans la canopée des forêts primaires d’Asie du Sud-Est.
En 2014, désespérant de trouver une organisation s’occupant d’eux dans leur milieu naturel, j’ai décidé de créer une association entièrement dédiée à l’étude et à la protection du binturong. C’est le 08 juillet qu’Arctictis Binturong Conservation (ABConservation) a vu le jour.
Prenant soin des binturongs dans le zoo, j’ai fini par également en prendre soin dans ma vie de tous les jours.
Depuis 2 ans et demi maintenant, tout en étant soigneur animalier, je multiplie les interventions auprès des visiteurs des parcs zoologiques mais aussi dans des écoles dans le but de faire connaître le binturong et aussi pour sensibiliser le grand public à la disparition des animaux arboricoles, qui est principalement due à la déforestation intensive des forêts d’Asie. En dehors de ces interventions, mon but est de monter un projet de conservation en Asie.
En septembre 2015, de passage au parc national de Cuc Phuong au Vietnam, où j’avais rendez-vous avec l’équipe de Save Vietnam’s Wildlife (centre de conservation des petits carnivores), je fais la connaissance de la team Cafotrop et d’Enquête d’Arbre. Avec eux, j’apprends qu’il existe des techniques de grimpe permettant d’atteindre le sommet des arbres, et donc de pouvoir installer des pièges photographiques à plus de 15 mètres du sol, mais aussi de pouvoir observer des animaux arboricoles directement dans leur lieu de vie !! Je suis conquise par le tree-climbing et décide que la grimpe d’arbre fera partie de notre futur projet d’étude sur le binturong.
Début 2016, le projet d’étude et de conservation se construit petit à petit sur papier. ABConservation posera ses bagages sur l’île de Palawan en fin d’année. C’est en octobre 2016, que je participe à ma formation de grimpe d’arbres dispensée par l’association Profil-Evasion. Trois journées intensives à apprendre différentes techniques pour être complètement autonome et surtout évoluer en toute sécurité dans les arbres. L’apprentissage théorique et la mise en pratique demandant beaucoup de concentration, ma première journée fut éreintante, les deux suivantes un peu plus amusantes.   
Est-ce que trois jours de formation sont suffisants pour aller grimper les grands arbres de la jungle de Palawan… Je vous dirais que non, ce n’est pas suffisant !!! Avant d’atterrir à Palawan, j’ai eu la chance de m’entrainer sur des arbres en Thaïlande, et de me rendre compte des difficultés que l’on peut rencontrer : le lancer de sac,  passer d’un tronc à un autre, bloquer son prussik car ce dernier est trop tendu et proche du tronc, bloquer son pantin… et j’en ai encore plein d’autres en réserve comme des erreurs de débutants consistant à lancer son sac sur la première grosse branche de l’arbre et se rendre compte par la suite que c’était un mauvais choix qui ne permettait pas de monter plus haut dans l’arbre.
Décembre 2016, arrivée à Palawan. Découverte de l’île et premières galères pour obtenir le permis de recherche. Je dois revoir mes pronostics pour débuter l’étude : le temps de réunir toutes les autorisations, l’étude ne commencera pas avant février 2017. Du coup, une matinée de grimpe entière par jour dans les arbres, et qu’est-ce que je peux vous dire si ce n’est que j’adore ça. Je ne suis pas très douée au lancer, un peu gauche quand je grimpe, j’ai aussi beaucoup d’hématomes aux jambes, je perds un peu de peau sur les doigts, mais ma seule envie est de progresser et de continuer à grimper. J’ai été très fière de moi lorsque j’ai réussi à passer d’un arbre à un autre, comme me l’avait appris Mathis et Fred en formation.
Les galères pour obtenir le permis se poursuivront jusqu’à début mars, me faisant changer à plusieurs reprise le lieu de l’étude. Mais qu’à cela ne tienne, je ne suis pas démotivée. Les caméras sont finalement installées tout au long du mois de février : une partie dans une plantation, et les autres entre 15 et 20 mètres de hauteur dans des ficus. Nous obtenons par la suite des premiers résultats. Pour le moment, pas de binturong en vue (que cela soit durant des séances de spotlighting ou via les clichés de nos pièges photographiques) mais nous avons quand même pu observer plusieurs civettes (cousines du binturong), des écureuils, des pangolins et des blaireaux.
Quittant l’île fin mars, j’ai décidé de confier la récupération des données à une équipe locale, et ce, jusqu’à mon retour en juin. Adok et Marlon sont très à l’aise dans les arbres et n’hésitent pas à monter à 10 mètres de haut sans équipement : spectaculaire mais dangereux… Avec mon équipière Agathe, responsable scientifique d’ABConservation, nous prenons notre mal en patience pour leurs expliquer l’utilisation de notre équipement correctement. Ce n’est pas facile, il y a la barrière de la langue et le fait que ces gars-là grimpent depuis plus de 20 ans sans équipements de protection individuelle. Heureusement, ils apprennent et mémorisent très rapidement. Bref, après plusieurs échanges et essais dans les arbres, je dirais que nous sommes presque arrivées à  leur faire utiliser le matériel comme il le faut.
Les pièges photographiques resteront installés dans les arbres, jusqu’à notre retour en juin. C’est à partir de ce moment-là qu’Agathe pourra commencer à traiter l’intégralité des données. Nous changerons ensuite nos caméras de place pour les mettre sur de nouveaux arbres dans une partie différente de la forêt.
Est-ce que nous verrons enfin des binturongs ? Je croise les doigts ! En attendant, l’aventure se poursuit dans les arbres à la recherche du binturong.
Il y a 20 ans, je voulais sauver tous les animaux, aujourd’hui je peux dire que j’essaye d’en sauver au moins une partie en protégeant le binturong et ses forêts.

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