Portrait du mois : Jean-Michel NÉRI

Jean-Michel Néri

Conseiller/Etudes

Portrait de Jean-Michel Néri

Je fais partie des vieilles branches de ce métier.

Je n’en suis pas un des précurseurs ni un des champions, mais j’ai été formé par certains de ceux-là il y a une trentaine d’années, à l’époque où seul le CFPF de Châteauneuf du Rhône semait dans le Grand Sud les graines de notre passion commune et de notre exigence. Les arboristes-grimpeurs s’appelaient encore « élagueurs » et la taille dite « douce » suffisait à définir le concept, le distinguant sans peine de la « taille à papa ».

En 1986, j’avais pour seul bagage arboricole un BTS productions forestières qui, à défaut de m’initier à l’élagage, eut l’avantage de m’indiquer clairement la voie que je ne voulais pas suivre. Ce cursus ayant eu lieu en Haute-Savoie, j’y découvris néanmoins, en même temps que les arbres, l’escalade et un certain usage des cordes. Un recadrage me fut tout de même nécessaire, auprès de Châteauneuf, à travers deux formations courtes (non diplomantes, mais les seules existantes avant la création du CS) dispensées par Dominique Laffont. Elles créèrent les conditions d’une intimité nouvelle avec l’Arbre, et permirent d’adapter ma maîtrise des cordes aux déplacements et au matériel spécifiques à l’élagage.

Les rencontres humaines ont fait le reste. Premier contact, premier chantier et première Châtaigneraie à « rénover », en Corse, dans mon île. Mes collègues et futurs mentors sont alors Olivier Capoulade (alias Duchesse, Duch, Capou…), premier Français avec de Francis Dejongue à ramener d’Angleterre la notion de taille douce, et Luc Blanloeil (alias Lulu, Rahan…) qui lui a fait franchir la Méditerranée quelques années plus tard et l’a introduite en Corse (la taille douce, pas Duchesse qui ne se laisse pas introduire si facilement). Apprentissage béni ! Amitiés indéfectibles et passion inconditionnelle de l’arbre, à une époque encore pionnière. Par la suite, le hasard m’a aussi permis de côtoyer certains grands hommes de l’arboriculture, tels que Christophe Drénou, Thierry Fourmis… Merci à eux.

La seconde rencontre déterminante est l’Olivier. Ne vous méprenez pas, je ne parle pas des nains de rond-point ni de la plupart des arbustes de verger. J’évoque ici les cathédrales vivantes plusieurs fois centenaires qui parsèment la Corse ; des oliviers qui atteignent régulièrement les 15 mètres de hauteur et qui étaient déjà présents bien avant que Christophe Colomb découvre l’Amérique. Au-delà du respect du vivant et de son intégrité, on éprouve face à de tels sujets la crainte de perturber une forme d’éternité. Chacun des élagueurs qui me lit sait exactement de quoi je parle, s’il a eu lui-même l’occasion d’intervenir sur des arbres classés.

Comme vous tous, j’ai également été amené à tailler (et à démonter) d’autres essences. J’ai croisé de nombreux eucalyptus, platanes, châtaigniers, tilleuls et autres chênes, ainsi que des résineux parfois spectaculaires. Fusible entre l’homme et l’arbre, j’ai autant usé de pédagogie que de lames de scie. Mais la transmission devient vite pénible quand elle s’adresse à celui qui ne veut pas entendre. Le client ou le donneur d’ordre vous use plus sûrement que le métier, et se cramponner à sa déontologie devient essentiel pour préserver sa foi et sa santé mentale.

Afin de m’adresser au public le plus réceptif et le plus motivé, je suis peu à peu devenu formateur d’élagueurs dans le cadre du CS taille et soins aux arbres, au début des années 2000. J’ai animé quelques sessions, mais je ne me sens plus aujourd’hui le droit d’enseigner dans ce contexte. Je me contente d’aborder la taille des oliveraies anciennes lors de courts modules de formation, dispensés aux oléiculteurs corses par la Chambre d’Agriculture. J’ai fait, depuis vingt ans, ma spécialité du traitement de ces oliveraies. À observer ces arbres et à guetter leurs réactions, j’en ai appris d’eux autant que de mes maîtres, et ils furent nombreux. Bref, cet arbre-menhir est devenu mon arbre-totem, et la Corse en compte par milliers, sans exagérer. Ce lien particulier m’a amené presque naturellement à écrire un roman, paru en 2012, La peau de l’Olivier. Il en est le narrateur et nous parle de lui… ainsi que de nous.

Parallèlement, tout ce temps, j’ai suivi de loin – et j’avoue, avec un intérêt décroissant – l’évolution du matériel, des techniques et des règlements. J’ai, certes, adopté la drisse après avoir frotté de la toronnée pendant longtemps. J’ai accueilli volontiers certaines évolutions techniques qui réduisaient l’effort fourni par le grimpeur. Je suis plus dubitatif, en revanche, sur la règlementation censée limiter le risque d’accident – puisque c’est toujours lui qu’on évoque pour justifier l’adoption de nouvelles normes – qui rend problématique l’activité en entreprise individuelle et favorise les grosses structures ; qui fait exploser les coûts d’exploitation et rallonge d’autant la facture pour le client ; qui bannit, tour à tour, les épissures et la plupart des nœuds qu’un grimpeur est censé savoir réaliser, pour imposer des systèmes onéreux fabriqués en usine. Attention, je suis tout à fait conscient du caractère blasphématoire de mon propos, dans ces pages dédiées à l’innovation technique et à son commerce, mais c’est justement parce que l’évolution du métier ne doit pas se faire dans un sens qui le rend impossible à exercer. La même logique règlementaire finira par favoriser l’usage des engins élévateurs au détriment des arboristes… et des arbres. « Un CACES plutôt qu’un CS » risque de devenir la règle, alors que les élagueurs n’ont jamais été aussi instruits sur l’arbre et plus performants dans leurs déplacements qu’aujourd’hui. Pour illustrer ce paradoxe, j’évoquerai les nombreuses vidéos qui circulent sur le net et qui témoignent des travaux réalisés par les meilleurs professionnels de l’élagage : 90% d’entre-elles montrent du démontage. Au-delà de la performance technique et spectaculaire de cette tâche, quelle ironie que le fleuron de notre profession intensément arborophile soit essentiellement sollicité pour abattre des arbres, même morceau par morceau, alors que la moindre entreprise de TP ou équipe municipale qui possède une nacelle se mêle d’en tailler.

Pour ma part, j’essaie encore d’agir au mieux dans l’activité qu’est devenu la mienne aujourd’hui. Je dispense du conseil auprès de propriétaires de parcs arborés, publics ou privés. Les études que je rends ou les cahiers des charges que j’établis reflètent l’intransigeante éthique qui a été la mienne durant ma première vie d’élagueur. Chacune de mes préconisations rend incontournable l’intervention d’arboristes-grimpeurs patentés, et tend à imposer leur professionnalisme, y compris sur de petits sujets facilement accessibles.

Et entre deux études, je continue à écrire des romans…