Portrait du mois : Fred Mathias

Fred Mathias

Elagueur et participant au manuel du grimpeur

Portrait de Fred Mathias

1988, je suis enfermé dans un bureau, je feuillette un magazine.Un article sur deux écoles d’élagage, l’une à Tours-Fondettes, l’autre à Châteauneuf du Rhône. Grimper dans les arbres c’est un métier et on peut l’apprendre. Je téléphone, la sélection à Fondettes est terminée, celle de Châteauneuf a lieu un mois plus tard.

Je prends ma 4L et 800 km plus loin j’arrive au CFPF au bout d’un chemin mal entretenu. Pour la formation élagage c’est trop tard, il reste celle de technicien de l’arbre. Je prends. Rentrée en octobre, je loge sur place. Je suis les cours et je m’arrange pour lorgner un peu du côté des élagueurs. On me propose de passer le CS. Mon niveau n’est pas terrible mais je décroche le diplôme. Chez moi pas d’entreprise spécialisée, alors je deviens travailleur indépendant.

J’ai croisé la route de Pierre Descombes, Francis Dejonghe, André Gayrault, Corinne Bourgery, et des dizaines d’autres. Je vais croiser la route de bien d’autres encore.

J’ai 30 ans. Ma vie vient de changer. 26 ans plus tard, je suis encore perché.

A l’époque, la trousse à outils du grimpeur est modeste : un harnais à bretelle (le modèle bleu et orange de Komet), 3 mousquetons ovales en acier, un rappel à trois torons que l’on apprend à épissurer et son prussik, une longe avec crochet « rapidex » et tendeur « reglex », une paire de griffes (qui viennent en général du stock américain le plus proche) et bien sûr une tronçonneuse (la star c’est le modèle G300T de Zenoah).

Mon camarade d’école et ami, François Dussenne belge et inventif, ne se satisfait pas de ce matériel. Il coupe et recoud son harnais, y rajoute des éléments venus de l’escalade, se débarrasse des griffes pour la taille. En mars 1989, à l’examen pratique de Châteauneuf la plupart des candidats grimpe sans griffes. La révolution technique est en marche.

A la sortie du CS nous contactons Komet pour proposer un modèle de harnais plus ergonomique. Le premier résultat de ce travail arrive lors des championnats d’Aix les Bains. Pas terrible, mais c’est un début. Nous tâtonnons.

Pour limiter les frottements et aussi préserver le cambium, François met au point une fausse fourche en sciant un huit de montagne et en reliant les deux anneaux avec une sangle. En 1993, c’est la rencontre du Nouveau Monde. Aux premiers championnats d’Europe en Allemagne nous rencontrons des grimpeurs américains qui nous montrent la technique des sacs à lancer, le footlock, l’utilisation des drisses, des techniques de démontage plus efficaces. Nous organisons trois stages avec eux à l’été 93. Les échanges s’accélèrent, les grimpeurs du monde entier se rencontrent et inventent.

En 94 aux Championnats de France de Montpellier, l’AGAP (association des grimpeurs d’arbres professionnels) est créée. Cette naissance témoigne d’une volonté d’organisation.

Les championnats lancés en 1988 par le CFPF sont un moteur puissant, chaque année de plus en plus de monde s’y retrouve, français, anglais, allemands, belges, italiens, espagnols,… A cette époque la France devient la planète des grimpeurs européens. On vient s’y rencontrer, discuter, s’engueuler aussi parfois. Et l’on repart chez soi avec de nouvelles idées et le plein d’énergie. On commence à se rendre visite de pays à pays. La SFA (société française d’arboriculture) rassemble, élagueurs, gestionnaires de ville, chercheurs, techniciens. Les connaissances scientifiques et techniques progressent et se diffusent. Alex Shigo est le prophète d’une nouvelle vision de l’entretien des arbres.

A la fin des années 90 Pascal Atger me propose de rassembler les connaissances techniques dans un livre pratique. Le manuel du grimpeur est écrit pour faire le point sur l’état de la profession à l’aube de l’an 2000. Rien n’était paru en français depuis le guide Michaut de 1983.

Tout au long de ces années une effervescence formidable a construit une nouvelle profession : grimpeur-arboriste, ou arboriste-grimpeur. Faite de partage, d’enthousiasme, d’astuce elle a permis qu’aujourd’hui un grand nombre de jeunes hommes et de jeunes filles se passionnent pour ce merveilleux métier. Son histoire complète reste à écrire.