Portrait du mois : Eric Guilbert, Entomologiste chercheur-grimpeur, globe-trotter des cimes.

Eric Guilbert

Entomologiste chercheur-grimpeur

Portrait de Eric Guilbert

Vous n’allez pas me croire si je vous dis qu’étant petit, je rêvais d’une Calypso et d’un bonnet rouge. A regarder les émissions de l’équipe Cousteau, j’ai toujours rêvé à l’Aventure scientifique. Je voulais faire partie de ces gens qui parcourent la planète pour rendre compte de sa richesse biologique, unique dans la galaxie, autant qu’on sache. Alors, je me suis engagé dans des études universitaires classiques en biologie.

Après 5 ans d’études à l’Université Pierre et Marie Curie, le seul sujet qu’on m’a proposé en master 2 (DEA de l’époque) en 1992, portait sur les insectes de la canopée des forêts primaires de Nouvelle Calédonie. J’ai continué ensuite sur une thèse de doctorat en 1993 au Muséum national d’histoire naturelle, toujours sur le même sujet. Et me voilà à fulminer de l’insecticide dans des réserves naturelles forestières du Pacifique sud en Nouvelle Calédonie, pour faire des estimations du nombre d’espèces vivantes sur la planète pendant trois ans. Le nombre d’insectes et autres Arthropodes qui tombent de la canopée était tout simplement impressionnant. Quand on sait que les Insectes représentent 53% du nombre d’espèces vivantes sur la Terre, on est vite confronté à un monde riche et nouveau.

Me voilà enfin docteur en Entomologie en 1995 ! Après une aventure d’un an en Colombie sur la faune des palmiers et quelques errances, j’ai enfin décroché en 1998 un poste de Maître de conférences en entomologie au Muséum national d’histoire naturelle, le temple de la systématique. Systématique ? Cette science qui, depuis Carl Von Linnée (1758) et autres grand noms comme Cuvier, Lamarck, Valenciennes, s’attèle à décrire la richesse du monde vivant. Je pouvais dès lors lever la tête et me poser des questions sur la provenance de toute cette richesse en canopée. D’où viennent ces espèces ? Comment ont-elles évolué pour donner cette richesse ? La canopée est-elle la dernière frontière biotique terrestre? Attention : j’entends par canopée ce volume forestier qui grouille de vie depuis les premières charpentières jusqu’à la cime des arbres. Après le sommet de Rio en 1992 sur la biodiversité et sa conservation, il m’était difficile de justifier des études sur la biodiversité en gazant la faune de parcs naturels protégés ! Le meilleur moyen était donc d’aller voir là-haut !

J’ai alors été initié aux techniques de grimpe dans les arbres, pour accéder à la canopée en me rapprochant des ACCRO-Branchés. Non sans difficulté d’ailleurs. Allez justifier au Muséum une demande de formation de grimpe et d’animation dans les arbres ! Quand j’ai dit au labo que j’allais grimper dans les arbres pour trouver des insectes ; on m’a répondu d’être un peu plus sérieux et de retourner travailler. J’ai quand même fini par avoir gain de cause au bout de trois ans. A l’arboretum des Barres, après le tour de table le premier jour de l’initiation, les autres participants m’ont trouvé bizarre ! Un gars qui veut grimper dans les arbres pour trouver des punaises… Ce n’est pas commun !

Une initiation et un perfectionnement m’ont aidé à apprendre la grimpe d’arbre. Il fallait ensuite adapter la grimpe aux objectifs : la collecte et l’observation des insectes de la canopée et ce, essentiellement en milieu tropical. Grâce à la rencontre d’un grimpeur curieux et hors pair, et entouré d’une équipe dynamique et motivé au Muséum, nous nous sommes attelé à la tâche. Nous voilà donc parti en 2005 avec Lionel Picart, grimpeur et Cyrille D’Haese, entomologiste, en Nouvelle Calédonie pour une première mission de collecte des insectes au sol et en canopée. Notre objectif canopée consistait à trouver les punaises de la canopée que j’avais obtenu par fulmination en 1993. Je dois ajouter que les dites punaises (les Tingides) dont je suis spécialiste font une taille de 4 mm en moyenne… Bonne chance ! Notre quête ne fut pas vaine et nous sommes rentrés avec les dites punaises. Vous auriez dû nous entendre quand on a trouvé nos premiers Tingides en haut des arbres… Tarzan n’aurait pas fait mieux ! Cafotrop (Canopée des Forêts Tropicales) était né. Nous avions un concept de travail sur le terrain qui était efficace : une équipe de scientifiques, je cite Cyrille D’Haese, Christophe Daugeron, Olivier Montreuil, Adeline Soulier et Pierre Michel Forget, un grimpeur, Lionel ! Et un photographe, Philippe Psaïla. Il y a un monde fou en canopée ! Des collemboles, pourtant réputés être du sol, des diptères, des coléoptères comme les chrysomèles et les charançons, beaucoup d’araignées… Je passe outre les vertébrés dont on va s’occuper prochainement. Attendez voir !

Le concept mis en place, il fallait le perfectionner. Nous avons organisé d’autres missions dans différentes forêts du globe (Gabon, Argentine, Madagascar, Guyane, Nouvelle Zélande, Chili, Afrique du Sud, Australie et j’en passe). Avec le temps, nous avons adapté les techniques d’accès à la canopée et les méthodes de collecte dans la canopée… Pas évident de poser ses cordes quand on ne voit pas où elles passent. Et ce n’est pas fini ! Croyez-moi, toutes les missions sont différentes. A chaque mission, des forêts nouvelles, des profils végétaux différents, richissimes. Il faut à chaque fois, réévaluer les approches, les modifier, imaginer de nouvelles méthodes. On a testé du petit matériel de l’entomologiste amateur à la plateforme ancrée à mi-hauteur, en passant par la « Treetent » en bout de charpentière. On a eu droit aussi à des surprises. Avez-vous déjà vu un grimpeur courir le 100 m en pleine forêt, avec une nuée d’abeille derrière ? C’est impressionnant ! Avez-vous déjà rencontré un nid de fourmi en canopée ? Ca pique ! De quoi griller un prussik en quelques secondes ! Je garde néanmoins un souvenir inoubliable de chacun des arbres que j’ai grimpé. Que ce soit les géants de Makokou au Gabon, les Nothofagus de Nouvelle-Zélande ou encore les Eucalyptus du sud de Perth en Australie (certains font plus de 90 m), sans parler des fameux Tsingy de l’Ankarana à Madagascar. Dans ce dernier cas, il s’agissait d’arbres de taille moyenne, mais isolé dans des cathédrales de calcaires aussi tranchantes que des rasoirs… Et par plus de 40°C à l’ombre.

Le plus intéressant dans l’histoire est cette synergie qui s’est créée entre les grimpeurs et les scientifiques. Pourquoi le scientifique resterait-il au sol ? C’est le principal intéressé, il faut donc le faire grimper ! Et puis si le grimpeur sait ce que l’on cherche là-haut, il est bien plus efficace. Les deux doivent donc grimper de concert. Et c’est le challenge qu’on a relevé.

Ainsi, je parcours les forêts du globe depuis plus de 15 ans, pour comprendre quelle est l’origine de la richesse en insectes, et comment se structure la diversité des Insectes. La tâche est longue… Le quotidien s’écoule entre la mission de terrain de trois semaines environ pour collecter et observer les insectes et le travail au labo qui peut prendre des mois. L’acquisition des données au laboratoire passe par le séquençage moléculaire, la microscopie électronique à balayage, la chromatographie en phase gazeuse, etc. L’analyse des données se fait grâce à des algorithmes spécifiques. Enfin, les résultats sont validés par les publications scientifiques dans les journaux spécialisés.

Cette quête est loin d’être fini. Chaque mission de terrain est une aventure nouvelle qui apporte des espèces inconnues et des résultats nouveaux. A ceux qui croient qu’on a fait le tour de la planète, sachez qu’on est loin d’avoir appréhendé la richesse exceptionnelle du monde vivant. La canopée est au milieu terrestre ce que les sources hydrothermales sont au milieu marin : des havres de vie.