Portrait du mois : Cédric POLLET, voyage dans l’intimité des arbres.

Cédric Pollet

Photographe

Portrait de Cédric Pollet

Des arbres, on ne parle que du port, de la floraison, du feuillage. On oublie que leur écorce est toujours une œuvre d’art. Depuis plus de quinze ans, Cédric POLLET sillonne le monde à la recherche des plus belles écorces d’arbres. Suite à l’engouement suscité par ses deux livres ÉCORCES Tome 1 et 2 (éditions Ulmer) vendus à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, il nous invite à partager l’intimité des arbres qui peuplent nos forêts.

C’est le portrait du mois.

« A quoi tient une vocation ? A un matin gris de fin d’hiver où un petit Français, obnubilé par l’idée de devenir paysagiste, enfourche son vélo à la recherche de quelques fleurs à photographier. Et ce matin, on ne voit rien du tout car en cette saison, les bourgeons ne sont que des promesses…Nous sommes à Reading, à l’ouest de Londres et Cédric Pollet, étudiant du programme Erasmus, porte en bandoulière le reflex argentique que lui a prêté une de ses amies. Il a 22 ans, un père vétérinaire à Nice et très modérément envie de lui succéder. Non, lui, ce qu’il aime, ce sont les jardins !

L’étudiant est sur le point de tourner casaque lorsqu’un gros chêne centenaire lui barre la route. Son écorce est si tourmentée, et Cédric si dépité qu’il se met à mitrailler le géant, sans savoir qu’il vient d’amorcer ce qui désormais deviendra sa raison de vivre…. »

De retour au pays, son œil a changé. Il y a des Nicolas de Staël cachés dans les pieds des platanes, des chaînes de montagnes vue d’avion sur les flancs des bouleaux, des bouches de femmes enamourées sur les troncs des peupliers blancs, des dunes sahariennes sur les fûts des pins parasols. Notre homme capture jusqu’à plus soif ces images du bout du monde cueillies à deux pas de chez lui. Bon garçon, il réalise pour le 52ème anniversaire de son papa un montage de ses oeuvres qu’il intitule «Vortex». Son tourbillon à lui commence alors et ne s’arrêtera plus.

Fraîchement diplômé de l’Institut National d’Horticulture d’Angers, le garçon s’envole pour l’Asie. Il y dévore les vifs arc en ciels que révèle la desquamation des eucalyptus, les vermillons orangés du palmier rouge à lèvres, les portées blanches que laissent sur les bananiers les fruits que l’on a cueillis. Le travail des bouleaux; que magnifient des vergetures de soie et les continents qui dessinent sur les zelcovas des archipels orange, le fascinent. Le reste du globe défile bientôt sous la lentille de cet assoiffé d’autant plus impressionné qu’il se double d’un esprit naturaliste. Il sait tout de la sève brute, liquide partant des racines pour alimenter les feuilles, et de la sève élaborée qui, elle, redescend vers le sol en sillonnant l’écorce, véritable armure protégeant du froid, du feu, des insectes, des maladies ou de coups de corne des chevreuils. Il sait également que cet épiderme magnifique doit aussi sa beautéà son utilité. On a écrit et navigué depuis la nuit des temps sur la peau des bouleaux, guéri les douleurs avec celle du saule blanc d’où l’on tire l’aspirine, halé les navires et vêtu les corps avec les fibres textiles du tilleul, préparé le cuir avec le tan du chêne, aromatisé le crumble aux pommes avec les copeaux du cannelier, couru au Mans grâce au latex des hévéas, soigné son paludisme grâce à l’écorce de quinquina, célébré, avec la résine de l’arbre à myrrhe, la naissance de petit Jésus .

Au fil de ses voyages, Cédric Pollet découvre la rutilance des cyprès glabres, le bleu faïence des pins d’Amérique, l’extravagance des érables, la turbulence des bambous et aussi la patience qu’il faut pour capter les avatars de toutes ces essences.

Résolu à n’utiliser que l’échelle de la vue humaine et à ne jamais rectifier au tirage la couleur de ses clichés, Pollet manie le temps aussi bien que le diaphragme. Cinq secondes suffisent pour qu’un coup de vent arrache à l’eucalyptus un lambeau d’écorce et qu’apparaisse une flaque de peau vert émeraude. Cinq minutes plus tard, le lac a viré turquoise ; cinq heures après, le soleil a repeint la zone en gris et blanc. Cinq jours ont passé, jaunissant le tout . Cinq ans après, c’est tout le dessin qui a changé : là est né un oeil rouge, ici une virgule sombre. Le photographe suit ainsi, avec une attention paternelle, les frasques «artistiques» d’un eucalyptus moucheté d’Australie qui habite au jardin Serre de la Madone à Menton. L’exposition aussi fait, de la même espèce, mille spectacles : «d’un côté et de l’autre d’une haie d’ifs, les troncs des mêmes bouleaux sont soit blancs, soit orange intense. C’est fou»,.

Collectionneur d’émotions, Pollet nourrit pour les arbres un intérêt aussi scientifique qu’esthétique. S’esbaudir sur la proximité picturale d’un pin à longue vie avec certains coups de pinceau de Soulage ne suffit pas. Encore faut-il savoir où retrouver le sujet et comment croiser ses caractéristiques avec celles de ses frères. On a rarement publié sur le sujet. Le botaniste Suisse Oscar Forel, dans les années 60, avait ouvert la voie avec son Secrets des Ecorces, Synchromie. Alain Baraton et Hugues Vaucher ont aussi exploré le domaine, mais peu se sont engagés à leur suite. Pollet l’a fait avec deux magnifiques volumes (en 2008 et en 2011*) à la gloire des fûts du monde entier et il espère bien continuer l’aventure en créant par exemple un jour un Musée de l’Arbre. On pourrait y admirer tous les objets en écorce que réunit l’auteur depuis dix ans mais aussi la collection des quelques 660 échantillons glanés au cours de ses voyages. A l’occasion, le photographe s’est fait aussi néologue en empruntant au grec la racine «phloios» qui signifie écorce. «Il y a des carpothèques pour recenser les fruits et des xylothèques pour parler du bois. Pourquoi n’y aurait-il pas de phloiothèques ? », dit-il. Avis à l’Académie…